La Fracture
Parfois, les livres nous racontent des histoires et, parfois, ils nous jouent des tours. Certains font les deux à la fois. Si tout le monde n’apprécie pas la dimension psychologique qui peut se dégager de l’immersion dans une œuvre, j’apprécie pour ma part fortement qu’un livre me manipule et m’amène à douter de tout, et surtout de lui-même. Si je devais citer un exemple, ce serait La Fontaine Pétrifiante de Christopher Priest qui m’a bluffé (et ce d’autant plus que cette œuvre tourne autour de l’écriture et du pouvoir des mots, des thèmes forcément chers à mes yeux en tant qu’auteur). J’ai récemment découvert La Fracture de Nina Allan qui s’inscrit dans cette même veine et réussit son pari avec maestria.
Nina Allan commence son histoire avec les codes du polar. On apprend la disparition d’une jeune fille, Julie Rouane, un jour de juillet 1994 en Angleterre. Seulement, l’affaire n’a jamais été close. On soupçonne l’adolescente victime d’un enlèvement ou d’un assassinat, mais on n’a jamais rien retrouvé. Ni corps, ni indice concret. Vingt ans plus tard, Selena Rouane reçoit un coup de fil d’une personne qui dit être Julie, sa sœur. Les questions depuis longtemps oubliées vont alors refaire surface : qu’est-il arrivé à Julie vingt ans plus tôt ?
La Fracture n’est pas une œuvre qui tient en haleine. Le rythme est plutôt lent, à dessein, je le soupçonne, pour mieux endormir notre vigilance. On alterne les passages souvent ennuyeux où on suit la vie assez détaillée de Selena et d’autres formes de narration, comme des extraits de journaux, de livres ou encore de devoirs d’école. Quand celle qui se dit Julie commence enfin à raconter son histoire, ses révélations sont loin de satisfaire et tout ce qu’est La Fracture commence alors à se dessiner.
Ce livre imprime un malaise chez le lecteur, lentement et sûrement, au fil de chaque explication improbable, de chaque doute exprimé par les personnages, de chaque coïncidence intrigante. La tension monte, jusqu’à en devenir suffocante et nous questionner dans notre volonté d’avancer. Faut-il fermer le livre maintenant, ou aller jusqu’au bout ? On sent progressivement que la fin nous décevra forcément, mais, tout de même, on veut savoir, n’est-ce pas ? Alors on tourne la page et on continue, et la suite nous dérange autant qu’on le craignait.
Cette torture mentale persiste une fois le livre terminé. Faut-il le ranger dans la bibliothèque, caché derrière d’autres livres, là où je ne le reverrai jamais ? Faut-il le recommencer pour trouver tous les indices qui se cachent forcément dans tous ces passages longuets que j’ai lu avec peu d’attention ? Finalement, et c’est là que l’œuvre de Nina Allan brille, le lecteur se voit affublé des mêmes angoisses que les protagonistes face à cette affaire de disparition traumatique. Faut-il chercher la vérité coûte que coûte, ou faut-il laisser tomber, passer à autre chose ? Y a-t-il seulement une bonne réponse ?
Dans La Fracture, la question n’est pas tant de savoir ce qui est vrai, mais plutôt de choisir quoi croire, voire de se demander si on a vraiment besoin de croire quelque chose dans cette histoire.
Informations éditoriales
La Fracture (VO : The Rift), Nina Allan, Éditions Tristram, traduction de Bernard Sigaud
« Y a-t-il seulement une bonne réponse ? » : clairement pas, et c’est là tout l’intérêt du livre à mon avis. Je n’aurais pas été jusqu’à parler de « malaise », mais ça triture l’esprit, c’est certain, et c’est ça qui est génial. ^^
Complètement ! J’essaie de m’empêcher de le relire, mais c’est difficile x) Et mon esprit me communique régulièrement une nouvelle théorie pour tenter de toute expliquer…
L’autrice fait preuve d’une grande maîtrise de son récit, c’est très impressionnant !