Suzume

En avril 2023, tout droit issu du studio CoMix Waves Films, est sorti dans les salles françaises le tout nouveau film d’animation de Makoto Shinkai : Suzume. En bon adepte des longs-métrages de ce réalisateur, je n’ai pu résister à l’envie de gagner une salle obscure et de plonger à nouveau dans ce que l’animation japonaise a de plus beau à offrir. Si Suzume n’atteint pas les mêmes sommets que l’immense coup de cœur cinématographique qu’était pour moi Les Enfants du Temps, cette œuvre s’impose sans nul doute comme une jolie réussite. Le temps de 122 minutes, action spectaculaire et poésie humaniste se mêlent pour nous offrir un tourbillon d’émotions, nous faire sourire autant que rire et frémir.

Ce film nous entraîne dans les pas de Suzume, lycéenne japonaise de 17 ans qui croise un beau matin Sōta, un curieux voyageur en quête des thermes abandonnés, non loin dans les montagnes. Cette rencontre lui apprend l’existence de portes particulières, toujours nichées au cœur de ruines, par lesquelles tente de s’échapper un immense ver surnaturel. Elle apprend ainsi que seul refermer et verrouiller ces portes à temps permet de prévenir l’avènement de désastres sismiques meurtriers. Lorsque Sōta se retrouve victime d’un mauvais sort, Suzume décide d’aider le jeune homme à pourchasser le responsable, un chat farceur, lequel n’est pas sans lien avec les portes du désastre. Sur leur chemin vont d’ailleurs se multiplier l’apparition de portes et les tentatives du ver de causer de terribles catastrophes.

Le voyage initiatique de Suzume, d’abord ancré dans une course-poursuite effrénée, va se ramifier jusqu’à incorporer une dimension plus personnelle et intérieure à mesure que la lycéenne découvre la nature de ces portes vers un autre monde. Si le film démarre tambour battant et enchaîne les scènes d’action intenses, il n’oublie pas pour autant de laisser émerger son véritable propos sur le le deuil. Car les lieux d’apparition de portes ne tiennent pas au hasard, pas plus que la faculté de Suzume de percevoir le ver surnaturel alors que la plupart des gens ne soupçonnent même pas son existence. Il y a là une fracture, une douleur enfouie, une cicatrice, celle d’un deuil impossible. Le temps d’un voyage, les souvenirs resurgissent, les émotions s’entremêlent et l’histoire se répète.

Alors que Les Enfants du Temps connaît son apothéose visuelle, sonore et émotionnelle dans sa dernière partie, Suzume renverse la dynamique. Le point culminant arrive finalement bien vite, au début de la deuxième moitié du film, dans le ciel de Tokyo, nourri par une animation bluffante, par le morceau Sky Over Tokyo du groupe RADWIMPS, par les répliques du chat farceur, par le choix impossible qui s’impose alors à la lycéenne. Alors que Les Enfants du Temps met l’emphase sur les retrouvailles finales, Suzume met en avant la perte, le déchirement. La suite s’enchaîne sans réelle résistance, sans obstacle significatif, jusqu’à presque tirer un peu trop en longueur. La tension peine à remonter, même dans la scène d’action finale. Le dénouement devient ici plus sobre, plus intime, plus introspectif. Peut-être n’en est-il que plus percutant lorsque le film boucle enfin sur lui-même et brise nos attentes irréalistes. Car la fin est évidente. Et pourtant tellement poignante. Ce n’est pas celle qu’on aurait aimé voir, mais quiconque a déjà connu la violence du deuil, que ce soit celui d’un être cher, d’un rêve, ou d’un espoir, sait que cela ne pouvait finir autrement.

S’il fallait souligner quelques bémols, on pourrait évoquer le scénario un peu moins clair que dans les autres films de Makoto Shinkai, mais aussi sa romance un peu fade, trop typique des films d’action et des télécomédies romantiques. Là où Les Enfants du Temps nous offrait à voir une amitié se construire et s’épanouir dans la durée entre ses deux protagonistes, Suzume et Sōta s’attachent ici très rapidement, probablement sous l’effet des circonstances et de l’adrénaline.

Le film n’en demeure pas loin agréable à regarder, servi par une qualité d’animation somptueuse, et vaut le détour. Avec Suzume, Makoto Shinkai continue d’évoquer ce qui teinte toutes ses œuvres : le tragique séisme de 2011. Il le fait cette fois avec un film qui bouge davantage, plus intense, à l’action plus spectaculaire, mais toujours avec le même humaniste. Il nous rappelle que la vie n’est qu’un long présent, coincé entre un futur imprévisible et un passé perdu pour toujours. Le deuil est un voyage intérieur impossible et pourtant inévitable. Verrouiller, ce n’est ni nier ni oublier.

Le ton est différent des Enfants du Temps, mais la conclusion reste finalement la même et cette affirmation prend toujours autant aux tripes. Le monde a beau être fou, hors de contrôle, il faut vivre. Ou peut-être plus encore. Nous voulons vivre.

© CoMix Waves Films

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